Sexualité féminine 2.0 : libération ou nouvelle norme ?

Selon une étude réalisée par MailWater en 2024, 51,7% des femmes utilisent TikTok en Belgique. Un chiffre révélateur, quand on sait à quel point ces plateformes façonnent aujourd’hui les représentations du corps, du désir et du plaisir féminin. En effet, dans un scroll effréné sur TikTok ou Instagram, on tombe aussi bien sur des sexologues qui libèrent la parole autour de la vie sexuelle féminine que sur une influenceuse à la pose millimétrée dans des sous-vêtements « sexy et confort ».  

© Unsplash – Karolina Grabowska

Entre empowerment et performance, les réseaux sociaux sont devenus un terrain glissant où se croisent éducation sexuelle, désir de libération et nouvelles injonctions. La sexualité féminine version 2.0 est-elle vraiment libératrice… ou simplement piégeuse?

Une parole plus libre pour des corps plus visibles

Depuis plusieurs années, la parole se libère sur les réseaux sociaux, des comptes comme @sexualis.sexologie @momentsexo @sexosoins @lea.butine partagent des schémas, témoignages et conseils pour une vie sexuelle plus comprise, décomplexée et épanouie. 

Cette parole crue, directe et parfois militante fait du bien à notre génération. Les commentaires sous les publications de @lea.butine parlent d’eux-mêmes : « Merci pour ces conseils, encore et toujours un post intéressant, instructif et très beau », « J’avoue, les infos me sont plus qu’utiles, j’ai l’impression de redécouvrir ma sexualité au travers de ces tips ». 

Derrière ces contenus : une volonté claire. Replacer le plaisir féminin au centre des discussions, briser les tabous et construire une sexualité qui ne soit pas dictée uniquement par le regard masculin ou par la société en général.

Tout ça, c’est ce qu’on appelle l’empowerment sexuel : le fait de découvrir ce que la femme aime, en parler librement, fixer ses propres limites et de ne pas se laisser dicter quoi faire, ni par la société, ni par un partenaire.

Mais une sexualité toujours aussi esthétique 

Si la parole se libère petit à petit, elle reste tout de même enfermée dans des codes bien précis. Être empowered, oui, mais sexy, lisse et stylée, c’est mieux. Les poses sont maîtrisées, les corps filtrés, les cheveux bien placés. Le plaisir, oui, mais instagrammable, s’il vous plaît.

Sur TikTok, des trends (« tendances ») comme le « Hot girl transition » développent une esthétisation constante du corps. L’expression de soi semble encouragée, mais dans un cadre très normé : ventres plats, lingerie délicate, bougies allumées et draps froissés.

C’est ce qu’on peut appeler la performance : C’est l’idée qu’il faut “bien faire” sa sexualité : être attirante, savoir quoi faire, paraître désirée et désirable. C’est une sorte de mise en scène où on se sent parfois obligée d’agir comme on pense qu’il “faut” être.

Libération ou nouvelle forme de contrôle ? 

Ce paradoxe, beaucoup le ressentent : plus on parle de sexualité, plus les codes visuels semblent resserrés. Derrière cette ambivalence, les algorithmes jouent un rôle majeur. Les contenus les plus “conformes” aux standards (blanches, jeunes, minces, hétérosexuelles, sexy mais pas trop explicites) sont valorisés. Les autres contenus (queer, corps hors normes, paroles plus brutes) sont souvent invisibilisés, voire censurés.

On assiste donc à une normalisation de la sexualité féminine “marketable”, celle qui plaît, qui se vend, et qui n’effraie pas les marques. Même les discours féministes peuvent être absorbés et édulcorés par cette logique de performance.

Et si on prenait vraiment le contrôle ? 

Les réseaux sociaux donnent la parole, oui. Mais ils la filtrent. C’est pour ça qu’il faut regarder au-delà du simple fait de parler de sexualité, et s’interroger sur le système dans lequel cette parole est produite. Il est donc essentiel de se questionner : qui parle, comment, et dans quel cadre ?

La libération sexuelle ne sera réelle que si elle s’accompagne d’un droit au plaisir pour toutes, sans norme esthétique ni injonction à la performance.

Cela passe par des voix plus diverses, des corps plus vrais, des discours moins lissés. Il est aussi important d’inclure une éducation sexuelle qui sorte des clichés, et qui apprenne aux jeunes filles à se connaître pour elles-mêmes, pas pour correspondre à une version “likeable” d’elles-mêmes.

Entre exposition et émancipation

Les réseaux sociaux ont indéniablement ouvert la parole vers une sexualité féminine plus libre et revendiquée. Mais cette émancipation numérique ne vient pas sans zones grises. Car à mesure que les femmes parlent, on attend d’elles qu’elles parlent bien : avec les bons mots, dans les bons codes, et surtout dans une esthétique qui reste acceptable. Il s’agit donc de regarder cet espace avec une certaine lucidité. 

Et peut-être que le vrai empowerment ne réside pas dans le fait de poster ou non, mais dans le droit de choisir librement et sans validation extérieure ce que l’on veut dire, montrer ou garder pour soi.

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